SEMIOLOGIE / tendance

Nos produits ont-ils perdu leur fonction fondamentale ?


Avez-vous remarqué que nos linéaires de supermarché ont évolué ?
Plus précisément, avez-vous vu que les packagings de nos produits chéris glissent depuis de nombreuses années pour se métamorphoser ?

Si si, vous allez voir…

Un petit jeu pour commencer

Août 2021, store check chez un des leader de la grande distribution. Quelques clichés pour vous faire réagir… Nous vous invitons à examiner ces 4 packagings avec attention. Qu’ont-ils en commun ? Des choses vous surprennent ? Vous remarquez quelque chose ?

Vous avez trouvé ? Allez, on vous aide…

Un constat surprenant : la fonction fondamentale de nos produits a disparu !

Aucun ne nous dit qu’il est liquide vaisselle, lessive ou encore pâte à tartiner. Une fonction vampirisée sans aucun doute par une marque forte qui vient incarner le rôle et la réponse aux besoins intrinsèque de chacun de ces produits :

  • Avec Narta, Magnésium protec 48h… il faut lire « déodorant »
  • Paix Excel nous vend de l’ « HYGIENE » avec sa formule active à froid.
  • « Dash la collection » répond à – je cite- « nos divines envies » ; on suppose que c’est une lessive avec cette promesse de propreté éclatante et de parfum luxueux.
  • Quant à Nutella, il se suffit à lui-même…

Packagings : est-ce un phénomène isolé ?

L’exploration continue ce matin du 6 août et on ne s’en lasse pas… Et toujours pas de mention confiserie, lessive, pain de mie ou même jambon….

  • Palmolive nous livre sa version aquarium rangé au rayon « entretien vaisselle » (Aquarium oui avec un poisson effet 3D du plus bel effet)
  • Dans la boîte Oreo, vous trouverez 6 « enrobed white » (« enrobé de blanc » dixit littéralement google trad.. je sais toujours pas ce que c’est :))
  • Ariel est efficace même à froid pour « 2x plus de fraîcheur »
  • Ariel toujours en version liquide nous garantit propreté et hygiène (sans nous préciser si c’est de la lessive ou un produit pour laver le sol)
  • Epi d’Or nous propose un « spécial mie nature »… sans sucre ajoutés.
  • Avec Aoste, vous achetez des « fines et fondantes »

Et du coup, le postulat évolue. Les marques à défaut de mettre en avant la fonction produit, vendent de la valeur ajoutée…

Certains nous promettent une vie plus douce faite de partage et d’amour…

  • Avec vos petits bâtons, vous aurez tant à partager (…)
  • Du maxi partage toujours pour Haribo en mode Fan Box avec sa belle boîte ronde
  • Soupline est un filtre qui nous invite à des moments magiques par amour…(mais en mode compact J). Il y a du « level » là. non ?

D’autres nous promettent de l’étonnant ; de l’exceptionnel même

  • Felix nous invite à déguster (au dîner ?) sa délicieuse soupe de poisson ou encore de partager (avec les enfants ?) ses friandises « Party Mix » à l’apéro… sans nous préciser qu’il s’agit de pet food.
  • Et spéciale dédicace à Jacquet qui – pour sortir du lot – ne nous valorise plus ce qu’on son pain de mie a de plus mais plutôt ce qu’il n’a pas. Jacquet c’est du « sans » :du « sans croûte Nature », du  « Sans huile de palme », et même du « sans sucre  ajouté »…

Enfin, on peut aussi consommer et être un bon citoyen…Promis !

  • Avec Head & Shoulders, on va acquérir du « 40% recycled plastic »
  • Quant à Evian, la marque ne vend plus de l’eau mais des bouteilles PET garanties 100 % matières recyclées.

Que faut-il en penser ?

Les industriels partent il du postulat (nombriliste) que leurs marques ; leurs produits sont si connus qu’ils n’ont pas / plus besoin d’être expliqués, décris ?

Entrons-nous nous dans une nouvelle ère Pavlovienne où le consommateur est conditionné pour ne plus réfléchir. La fonction fondamentale du produit seule, n’est-elle pas suffisante finalement ?

Les modes d’approvisionnement de nos fonctions vitales (manger, boire, aimer et un zest du Soupline avec sa lessive) sont-ils destinés à tous s’uniformiser et les marques dans ce contexte deviennent des sources /ressources essentielles (au sens primaire)


Le décryptage de la sémio, Elodie Mielczareck

Pourquoi les marques ne sont plus descriptives ?

Les signes, avant d’être ceux d’une marque et présents dans une publicité (ou un autre support), sont avant toute chose ceux d’une époque. Les signes, même (et surtout) publicitaires, deviennent ainsi indices – voire symptômes – des paradigmes de notre époque. Autrement dit, ils traduisent en mot et en symbole ce qui nous préoccupe en tant qu’humain : ils sont la manifestation de notre inconscient collectif.

Phénomène notable, les marques ne valorisent plus la dimension technique et descriptive de leurs produits : les mots ont disparu des packaging ! « Lessive », « produit vaisselle », « assouplissant » sont-ils devenus des gros mots ?

Ce rapport « cru », « pragmatique » et « cartésien » à la réalité ne semble plus nécessaire : il est désormais encombrant, voire puérile de décrire le produit que l’on vend. L’un des items majeurs de la post-modernité vers laquelle nous glissons, doucement mais sûrement, est l’effacement progressif de la réalité vers la fiction. Plus exactement, l’avènement des réseaux sociaux et notre manière de consommer la fiction (Netflix, Tik Tok, etc.) ont transformé notre rapport au réel : peu importe que l’événement soit réel, vrai ou factuel, ce qui compte c’est qu’il soit vécu. Dans ce contexte, l’absence de descriptif-produit sur les packs est l’expression de la porosité entre réel et fiction, en un mot, de notre post-modernité.

Elodie Mielczareck, Sémiologue spécialisée dans le langage et bodylanguage, conseil aux dirigeants et aux agences.

Après un double cursus universitaire en Lettres et Linguistique, elle s’est spécialisée dans le langage et « bodylangage », formée aux techniques de négociation du RAID et à l’hypose. Conférencière, elle conseille également des dirigeants d’entreprise et agences de communication. Elle est très régulièrement sollicitée par les médias pour décrypter les mots et les gestes de personnalités connues]. Elle est l’auteure de Déjouez les manipulateurs (éditions Nouveau Monde, 2016), a participé à l’ouvrage Les Intelligences multiples en entreprise (Dunod, 2019), La Stratégie du caméléon (Cherche Midi, mars 2019).

Elle est a créé et anime le site de référence sur la sémiologie : www.analysedulangage.com

Anti Bullshit, Editions Eyrolles, à paraître en octobre 2021.